L'avenir
eût été différent, si les gouvernements français avaient été cohérents.
Mais en cette annexe de France, appelée Algérie, deux étoiles funestes
éteignirent un firmament d'espérance, après l'union magnifique, un certain
13 mai, de millions d'Algériens de toutes confessions. Regrettant un divorce
irréfléchi la France et l'Algérie se remarient ici et l'on voit
de Marseille à Paris, recréer la Casbah, Bab-El-Oued, sans Roumis. Il
fallait un lampiste, le "pieds-noirs" a servi, peuple cosmopolite et innocent,
venu ici pour survivre, accusé injustement des erreurs innombrables de
Paris. Mektoub..c'était écrit. Ce titre héréditaire raffermit un système
de valeurs, une vitalité ethnique semblable aux Acadiens survivant au
dépècement de 1755. Pour les Algériens que nous sommes toujours, si les
tourments sont finis, nos souvenirs restent. Rien n'effacera notre vécu
de là-bas; sites romains, mosquées grandioses, palmeraies verdoyantes
défileront toujours en notre âme attristée. L'exode des Pieds-noirs fut
un calvaire, qu'aucun ne recommencerait. Et pourtant? On m'a coupé la
jambe et mes orteils me chatouillent... Je suis écartelé; quelle part
d'une vie brisée devrais-je préférer? Nous avons nos martyrs, nos convictions,
notre foi. Comme la croix, l'étoile, amulettes ou tchador, nous pourrions
arborer nos pieds noirs sur fond d'or?
Le malheur est plus grand pour tous les Algériens restés là-bas. Malgré
notre départ la mort ne cesse de les environner. Nos regrets fraternels,
notre meilleur souvenir à nos amis d'antan. Dans la boue des tranchées,
le charbon des navires, les arabes étaient également des "pieds-noirs"...
Et bien plus qu'un voeu pieux, nous leur souhaitons de reprendre notre
oeuvre de pionniers, pour sauver le pays du chaos qui les pousse à l'exil.
Lorsque le monde sera un grand village chacun se souviendra que nous étions
cousins. Si les choses ont tourné de manière déplorable, c'est à d'autres
que nous qu'il faut le reprocher. Nous vivions ensemble depuis des décennies,
camarades d'école, d'armes ou de travail, amis, voisins, ou simples compatriotes,
Romains ou Numides, Arabes ou Turcs, Européens ou Algériens, tous amis...,
échangeant la mouna, les zlabias ou l'azyme, avant que d'autres ne viennent
semer la zizanie par goût du pouvoir, ou par connerie. Ce ne sont pas
ceux qui décident la guerre qui la font. Mais qui s'en souvient maintenant
et puisque la page est tournée faisons mine d'oublier. Pieds-noirs, Algériens
ou Patosses, l'origine française des
mots est la même. Si l'on prend une partie,
il faut prendre le tout. Relevant le défi nous sommes donc les Pieds-noirs,
et les autres Français resteront les Patosses ou les Francaouis. Puisque
tout cela c'est du "Kif-kif au même".
Epilogue: "Le petit Robert" (édition de 1990) donne les définitions suivantes
pour le mot "pieds-noirs": 1/ "Chauffeur de bateau indigène" cité en 1901;
Je précise: le chauffeur était celui qui était chargé d'entretenir
le feu d'une chaudière, dans les trains et les bateaux à vapeur. Le terme
indigène remplace ici le mot Algérien au sens large, celui de l'époque,
c'est-à-dire Européens et Autochtones confondus. Pour être conforme à
la vérité, cette citation doit être comprise ainsi: "Marin, de toute confession,
né en Algérie, affecté à l'entretien des chaudières d'un bateau". Les
métropolitains, faisant souvent l'amalgame, ne voyaient pas de différence
entre Arabes, Indigènes ou Algériens. Nous avons vu par ailleurs que les
Européens d'Algérie se disaient Algériens. 2/ "Arabe d'Algérie" cité en
1917; Même explication: Arabes ou Algériens, Algériens ou Européens c'était
" Kif-kif Bourricot " pour les écrivains métropolitains. Bien que ce dictionnaire,
créé par le "pieds-noirs" Paul Robert, contienne en cette matière pareille
erreur nous concernant, nous le remercions; nous avons compris... c'est
une pierre à notre édifice. 3/ "Français d'Algérie": les pieds-noirs
rapatriés.
Gabriel
Peters, né à Mostaganem (Algérie)
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