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La rumeur avait circulé toute la journée
dans la cour de récréation : les vitrines de Noël seraient prêtes dans la
soirée. La classe terminée, je retrouvais le chemin de la maison sans m'attarder
avec les copains aussi pressés que moi. Après un goûter vite englouti et
un baiser furtif à ma mère, je retrouve la rue Bobillot et son étrange lumière
de crépuscule. Les magasins s'éclairent timidement; le magasin Nouchy, le
café Perlès, Dahrmane le grossiste en fruits et légumes, le café Schlégel...
Au bout de la rue, un regard rapide pour constater qu'il y a déjà un attroupement
devant la vitrine des Deux-Magots; mon coeur bat la chamade... les jouets
sont donc arrivés. Intimidé par les curieux qui s'agglutinent devant la
grande vitrine du magasin, je me réfugie en face, sur le trottoir du marché
couvert, pour regarder de loin toutes ces merveilles en me promettant de
revenir plus tard. En attendant, je m'aventure sur l'avenue Foch pour vérifier
si la vitrine de Bébé Abensour est également prête. Je n'ai que 10 ans et
l'accès du centre-ville m'est défendu mais je brave l'interdit car j'ai
hâte de poursuivre la féerie de Noël... La nuit tombe vite en cette saison et le ciel est déjà noir mais les lumières de l'avenue me réconfortent et je m'enhardis pour parcourir les 50 mètres qui me séparent de cette autre vitrine. Elle est plus petite mais beaucoup plus éclairée, plus moderne aussi avec tous ces jouets qui viennent de France. Je me faufile au milieu des badauds car j'ai l'impression, n'étant plus dans mon quartier, de ne pas être reconnu... Je suis bousculé par tous ces curieux et, à cause de ma taille d'enfant, j'ai du mal à détailler la vitrine. Je reviendrai demain... et tous les autres jours... Aujourd'hui encore je reviens vers ces vitrines de ma jeunesse et, malgré tout ce que j'ai découvert depuis, elles illuminent mes souvenirs et me ramènent dans mon enfance heureuse. Le soir de Noël, je suis toujours à Saïda parcourant les mêmes rues, avide des mêmes joies et j'ai toujours la même pensée émue pour mes parents qui dorment là-bas et qui, en préservant mon innocence, m'ont fait aimer la féerie de cette fête . Texte de Hubert Méréa |