Chasse aux calandres


Je ne suis pas un Saïdeen, mais j'ai eu des activités professionnelles dans la région dans les années 50. Technico commercial à la Compagnie Algérienne de Tracteurs d'Oran, (concessionnaire Caterpillar, John Deere, etc.…), mon agent local était Diego Ségura qui avait sa forge dans l'immense cour de la famille Juan. Cet homme plein de bonté et d'énergie a probablement été le dernier à disposer d'un savoir-faire incomparable dans la fabrication de ces immenses chariots Hippo qui servaient surtout à la clientèle indigène. Mes clients avaient pour nom: Catroux, David Georges à Aïn el Hadjar dont le clos St Antoine était exporté en Suisse (peu de gens en avaient connaissance). J'avais aussi les Perrin, Garcia à Wagram (où j'ai chassé à la lampe et à la cloche les calandres qui venaient du sud), les frères Ruiz et bien d'autres dont les noms m'échappent. Comme je disposais d'une Peugeot 203, j'ai parfaitement connu et sympathisé avec le père Kauffmann, bel homme débonnaire et attachant. J'ai su que son fils était devenu vendeur Peugeot aux Grands Garages de la Sarthe.

Pour ceux qui n'ont jamais pratiqué la "chasse aux calandres" sur les Hauts plateaux (ce n'est pas un gag), voici comment je l'ai pratiquée. A la fin des moissons en juillet et me trouvant avec Diego Ségura en compagnie des Pélégrin père et fils à Wagram, nous avions repéré au soleil couchant des nuées de calandres qui se posaient dans les chaumes. Afin de délimiter les aires de repos de ces volatiles, Diego et les Pélégrin avaient demandé, moyennant une petite pièce, à un petit "yaouled" du coin de rester en faction jusqu'à nuit noire; condition indispensable. Plus tard alors que l'obscurité était totale nous sommes arrivés sur les lieux avec une lampe à carbure et une cloche ou quelque chose y ressemblant. Au début, et méfiant de surcroît, j'ai cru à une grosse farce et me suis tenu en retrait.

La chasse ou plutôt le ramassage des oiseaux à débuté avec le lancinant tintement de la cloche à un rythme approprié; le but étant de couvrir le bruit de nos pas et d'anesthésier leurs réflexes à s'enfuir. La lampe à carbure était obligatoire car dégageant une lueur uniforme et la lampe torche était exclue pour ce genre d'expédition. Il ne nous restait plus qu'à cueillir ces oiseaux et de les enfouir "fissa" dans les sacs de farine que nous portions sur le côté. Il suffisait de très peu de temps pour remplir et traîner ces sacs pleins à raz bord jusqu'à la voiture. Ramenant à Oran une partie de ma chasse j'en avais distribué à tout l'immeuble ou j'habitais et promis à ma mère de ne plus lui apporter de calandres, et lui éviter la corvée du plumage. Il y a maintenant près de cinquante ans que je me suis livré à cet exercice et mes souvenirs sont toujours présents dans mon coeur. Nostalgie, nostalgie quand tu nous tiens.


Texte de Roger Alfonsi

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