![]() Image retrouvée (2) |
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Dédé
immédiatement a retrouvé les gestes oubliés. ll s'est mis à sauter
sur les pierres plates en me disant: "Qu'est-ce qu'on a pu s'amuser ici".
L'instantané que j'ai pris montre sa veste soulevée par le mouvement; impossible
de penser à un papy -Alexandre est né quatre mois plus tard- quand
on observe cette silhouette juvénile portée par la joie du moment. Nous
sommes remontés vers la route en passant par le petit bois de pins. J'ai
pris une seconde pour m'asseoir sur le grand rocher où ma mère nous
distribuait les oranges du goûter. Cet endroit la faisait revivre peut-être
plus qu'une photo. Dans mes réminiscences de 1984, j'avais gommé inconsciemment
tout ce qui pouvait rappeler la guerre que ce pays a connue; comment avais-je
pu oublier le mirador construit sur le plateau et qui servait de poste d'observation
et de défense aux territoriaux? La villa Saint-André des Anges, vieillie, un peu délabrée, la maison du marabout toujours aussi immaculée mais silencieuse, le cimetière juif et son mur de pierres... jusque-là, l'image reste intacte. Et puis comme si des enfants avaient dessiné dans un débordement d'imagination, à côté de l'image, juxtaposés dans le champ de blé des immeubles ont surgi. On aurait pu se croire dans n'importe quelle banlieue d'une ville française avec ces constructions HLM, son environnement bruyant. Nous avons retrouvé le fil perdu dans la rue de Géryville, appelée maintenant rue des Palmiers. Elle nous a accueillis, fidèle, silencieuse, alignant ses vieilles maisons basses. Nous arrivions prés de la petite école Paul Bert, le grand portail en fer était entrouvert, machinalement nous l'avons poussé. Seul, au milieu de la cour, un homme grand, habillé d'un costume sombre. Quelquefois la réalité et la fiction se rejoignent et se conjuguent si bien qu'on pourrait penser qu'une main, invisible avait magnifiquement orchestré notre retour. C'est ainsi qu'on entendit: "Bonjour, Monsieur Wesling...". Dédé aussi éberlué que moi, n'en croyait pas ses oreilles: "Vous ne me reconnaissez pas? Vous avez été mon professeur quand j'étais en 5", au CEG... Je m'appelle ... Ah oui ... le nom me dit quelque chose, mais bien sûr, pas le physique...... Je suis maintenant directeur de cette école''. Une courte conversation s'engagea et quand nous avons quitté l'école, plus rien ne pouvait nous étonner, nous avions vraiment le sentiment de vivre une journée exceptionnelle. Aussi, quand, toujours dans cette rue des Palmiers, un vieil homme à chéchia s'approcha de moi et me dit joyeusement: "Vous n'êtes pas Mlle Bénicbou?", nous ne fûmes nullement surpris. Au lieu de descendre vers le centre de la ville par l'avenue Gambetta, nous primes la rue Nationale encore intacte. Le pâté de maisons dans lequel ma grand-mère habitait avait été remplacé par un imposant immeuble moderne et sombre dans lequel avait été installée la bibliothèque municipale. La rue Nationale: cette petite rue parallèle à l'avenue avait traversé le temps sans rides. Nous y avions joué des jeudis entiers assis sur le trottoir devant ma maison. Nous partagions nos découvertes et nos émerveillements avec les enfants Zinaï qui habitaient en face. Comme les poupées que nous fabriquions avec des croix de bois étaient précieuses... Ainsi que les marelles tracées grossièrement à la craie sur la route, la pierre plate qu'on pousse avec un seul pied, les osselets lancés et rattrapés des deux mains, d'une seule main, les yo-yo avec les boutons, les fils tendus et transformés entre les doigts, le bouton qu'on fait glisser d'une pichenette sur le dessin d'un carrelage, les cailloux pour jouer aux quatre coins, les jeux de cache-cache... |
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