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10 octobre 1991. En relisant mes notes
de 1984, je m'aperçois que cette image d'Épinal, colorée, paisible,
lumineuse n'a pas été cassée comme un reflet dans l'eau, lors de notre retour
en Algérie en 1982. Nos amis algériens avaient eu l'extrême délicatesse
de nous réserver une chambre à l'hôtel "El Forsane" construit à l'emplacement
même de la maison forestière, c'est-à-dire en plein coeur du Vieux-Saïda
de notre enfance. Nous y sommes arrivés tard dans la soirée, ivres de fatigue
et d'émotions. Revenus... Nous étions revenus...... L'hôtel par lui-même
ne se distinguait en rien d'un hôtel européen, très confortable.
Le matin je fus réveillée par des chants d'oiseaux, si familiers, qu'une
boule me remontait à la gorge. Nous allions remonter le temps à travers
les bruits, les parfums, les images. Quand j'ai ouvert la fenêtre ce matin là et que nous nous sommes accoudés au balcon, un peu éblouis par ce magnifique soleil d'avril, tout était comme dans nos souvenirs, le bois de pins, la forêt d'eucalyptus, les falaises, le "rocher de Roland" que nous apercevions en nous penchant un peu. Presque en même temps, nous nous sommes mis à évoquer les jeunes fiancés de 1959 que nous étions, nos promenades imprudentes, sous les pins protecteurs et complices. Au pied de l'un d'eux, nous avions enterré un petit flacon de parfum que j'avais dans ma poche. A cette époque nous pensions continuer à vivre dans ce pays, nous ne voulions pas envisager un départ, malgré la guerre. Alors pourquoi, ce geste, qui ressemble au naufragé qui lance une bouteille à la mer, ultime espoir? Notre bouteille de forêt, elle, était certainement encore là dans cette terre, pour témoigner de notre passage. Nous nous sommes arrachés à ce balcon pour aller prendre le petit déjeuner dans l'immense et vide salle à manger. Le serveur affable et souriant nous posa la question qu'il doit poser à tous les clients de passage: ''Alors on vient visiter l'Algérie?'' Comment lui dire "Non... On revient chez nous". Dédé, en arabe, lui a expliqué le but de notre voyage. ll a eu l'air attendri et gêné de celui qui comprend. Nos amis nous avaient recommandé de leur téléphoner à notre réveil afin qu'ils viennent nous chercher en voiture. Mais égoïstement nous avions décidé de gagner la ville à pied. Avant de prendre la route goudronnée, très vite nous avons contourné l'hôtel pour prendre le chemin de terre qui mène derrière le Vieux-Saïda. Nous parlions peu, nous laissant imprégner délicieusement, avides, la forêt nous reconnaissait, des images, des voix, des cris d'enfant se superposaient; nous avions l'impression de tenir un fragment d'éternité. Rien ne meurt jamais ."Regarde... quand je pense que c'est là que j'ai appris à nager". L'oued à cet endroit s'étalait en un petit bassin abrité par les arbres on l'appelait "la gazelle". La voix de Ded était un peu voilée quand il se mit à évoquer ses camarades Raquito, Georgeot... Un homme, tout à coup, est apparu sur le chemin. Un montagnard sans doute, turban et grande djellaba, une barbe grisonnante; il devait vivre dans les falaises. "Salam alekoum". Sa voix grave et chaleureuse nous émut profondément. Nous pensions à cette guerre atroce dont l'issue nous a écartelé aux quatre coins de la France. Cette guerre absurde qui n'a pas empêché ce vieil homme ce matin-là de nous saluer avec bienveillance. Nous décidâmes de ne pas continuer plus loin. Nos amis nous attendaient. Alors avant de nous engager sur le pont amputé de son magnifique parapet de pierres, remplacé par une horrible prothèse rambarde métallique, nous sommes vite descendus vers l'oued. |
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