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Enfin, on n'est pas snob. Si la Titine a un look spécial, si on a eu recours
à la chirurgie esthétique et mécanique, ce n'est pas par caprice. La voilà
maintenant prête à rendre tous les services... Elle est au garage, ou en
route pour les dépannages, elle sillonne la ville et la campagne et toujours
on l'entend venir de loin. Elle a transporté au cimetière les fleurs pour
l'enterrement de M. Mindus, notre voisin qui a dû attendre qu'elle soit
repartie dans ce bruit énorme et familier pour éprouver enfin le silence
et la paix de sa dernière demeure. Parfois, comme ce jour là, c'est Paulo,
qui conduit, ll a onze ans quand il commence et personne ne s'en étonne,
pas même le commissaire... Mais c'était "là-bas" où l'incroyable était
possible et il y a longtemps... Conduire à onze ans, Paulo n'est pas le seul à le faire: on voit aussi, son ami Francis dit "Carisio", fier au volant de cette camionnette Ford reconnaissable à son réservoir d'essence sur le toit. Un dimanche, pour la fête d'Ain-el-Hadjar, est organisée une course gymkhana. Deux équipiers par voiture; aller et retour jusqu'à Bou-Rached. A Ain-el-Hadjar, il y a des obstacles à franchir: un verre d'eau sur une table que le chauffeur doit saisir et poser sur une autre table; un panneau à trous dans lequel il doit adroitement lancer une balle, ici on dit "une pelote"; tout cela sans que la voiture ne s'arrête. Vitesse et adresse, voilà les règles pour gagner la course. La Côte Noire, la course, la fête, Constant ça lui plaît, d'autant qu'il fait équipe avec son ami Pierre Vincent dont le fourgon Renault dit "l'inconnu" n'est pas moins connu des Saïdèens que la Titine. On trinque avant la course; l'anisette coule dans les verres et les gosiers des deux compères qui fêtent le départ avant de mettre en route le moteur, et les obstacles, ils s'en foutent ... C'est parti... l'accélérateur au plancher; à fond sur la Côte Noire. Titine caméléon: elle est berline, camionnette, aujourd'hui, elle est voiture de course. Troisième jeunesse, la fougue, la vitesse, le bruit; elle s'emporte, se dépasse, swingue dans les virages. Demi-tour sur les chapeaux de roues en haut de la côte; plateau arraché, on continue, la portière s'ouvre et le pilote rattrape d'une poigne ferme le copilote avant qu'il ne rejoigne le plateau; c'est fini, on arrive, on a gagné... Les obstacles? Quels obstacles? Y avait des obstacles? Bon, de toute façon on est les premiers, on a gagné... Silence gêné; chacun s'écarte prudemment quand vient l'annonce des résultats. On ne sait jamais. Mais non, pas de bagarre; c'est comme ça avec Constant et quelques autres: l'inattendu arrive aussi... Texte de Gillette Fleury-Kauffmann, d'après les souvenirs de Paulo Kauffmann, son frère. |
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