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C'est une jolie 301, une berline grise que Constant a acheté à M. Berger.
Ce matin là, Pinson, l'apprenti a bien fait les choses: il a mis le sac
de jute pour se coucher sous la voiture, comme on le lui a appris et pour
vérifier qu'il n'y a pas de fuite d'huile. Maintenant, il doit la faire
belle car elle va se promener et on va la regarder passer. Mais il est consciencieux
Pinson et il pense à la mécanique. On sera content de lui; il plonge sous
la voiture, tire le sac de jute, le pose sur le moteur et baisse le capot.
ll va pouvoir doucher la belle sans mouiller le delco. Le chiffon à la main,
il la regarde partir un peu plus tard sans se douter que c'est la dernière
fois... Sur le pont de Nazereg, le robinet d'essence est rouge. lnquiétant; on ouvre le capot et c'est fini. Avec l'appel d'air et le réservoir d'essence à l'avant, le sac de jute et le moteur flambent comme des torches; et puis les pneus, les sièges... C'est un désastre. Mais à l'époque, on n'est pas riche, on a du courage et de l'imagination. On ne baisse pas les bras à la première fumée. lci, ils cognent et travaillent dur; ils tombent parfois d'avoir trop bu ou d'un coup de poing bien décoché, mais toujours, ils se relèvent. Et pour les choses c'est pareil: elles sont faites pour durer. Une fois le choc et la colère passés, on n'envisage pas de jeter la carcasse de la 301. On va la transformer, la faire renaître. Pour elle, la vie après la mort. Elle va devenir "la camionnette". On coupe le reste de la berline à hauteur des sièges. M. Herrera, le bourrelier refait une banquette pour l'avant et Constant fixe à l'arrière un plateau de bois qui finira douloureusement comme on le verra sur la Côte Noire d'Ain-el-Hadjar. Le moteur est refait, et on dirait bien que les pistons sont un peu plus gros après chaque réalésage... Pas étonnant que la brave Titine puisse avec ses huit chevaux remorquer le Berliet de la SIP L'échappement, on le laisse libre et les Saïdèens qui ne veulent pas savoir que la Titine est dans le coin n'ont qu'à se boucher les oreilles. Le tableau de bord est sobre: il ne s'agit pas de rentrer dans un platane sur la route de Franchetti parce qu'on a l'attention distraite avec tous les boutons... |
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