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D'abord trouver
un olivier. ll faut du bois vert; une branche en forme de Y. On la dénude
patiemment de son écorce. Dans le bois tout blanc, il faut tailler des encoches
à chaque extrémité pour y fixer les élastiques. On prend son temps, on s'applique.
Si l'on travaille vite et mal, les élastiques,.. on les prendra dans la
figure. Quand on a un sou, une pièce, une fortune, on va les acheter
chez Mme. Pierre, dans la rue Gambetta, près de la librairie Favier.
ll y a là de quoi vous faire rêver toute la journée; ce n'est pas bien grand,
mais il y a de tout: des toupies, des pierres à briquet, des élastiques,
des petites voitures, des bonbons, des réglisses, de la "quitane". M. Pierre
ne voit pas ces merveilles; aveugle de naissance, il est assis à l'entrée
de la boutique et s'amuse à écouter les gosses s'extasier devant une pelote
de ficelle. Mme. Pierre et sa fille tiennent le magasin. Cette caverne d'Ali Baba, ce n'est pas, comme on pourrait le croire la solution de facilité; il a fallu avant, que l'un d'eux se dévoue pour demander un sou à sa mère ou à son père, épuiser tous les trésors d'imagination dont ils sont capables pour trouver des solutions quand ils ont entrepris de fabriquer un jouet. Chez Mme. Pierre, les enfants vont souvent pour regarder car ils sont rarement riches; c'est toujours trop cher, alors ils trouvent au garage des morceaux de chambre à air que leur donnent Najem ou Ali et qui vont servir à fabriquer les élastiques ou à remplacer la "basane", ce petit bout de faux cuir sur lequel ils posent la pierre quand ils jouent "au stack". A l'école, le stack est interdit, les tire-boulettes aussi bien sûr... Parfois, malgré tout, les gosses le gardent dans leur poche, le maître passe dans les rangs, s'arrête devant certaines tables et dit: "Donnes-moi ton stack", car il ne l'appelle pas autrement. Comment peut-il savoir? Pourquoi moi? On ne cherche pas à mentir, ça ne sert à rien, et puis le maître peut fouiller les poches. En plus du chagrin de perdre le trésor si habilement fabriqué de ses mains, il faudrait subir l'humiliation du flagrant délit de mensonge. Bravement, on le sort de sa poche, on le presse entre ses doigts une dernière fois car jamais le maître ne le rend. On se résigne: c'est la règle; pas de stack à l'école... Qu'en ont-ils fait les maîtres de tous ces "stacks" confisqués? Ils auraient dû les conserver, comme preuve de l'imagination de leurs élèves, par respect pour leur patience et leur habileté. Il y aurait aujourd'hui un "Musée du Stack" où seraient exposés les modèles tous uniques de ces armes qui ont abattu plus de carreaux que d'oiseaux. Texte de Gillette Fleury-Kauffmann, d'après les souvenirs de Paulo Kauffmann, son frère. |