J'ai été
institutrice à mes débuts, de 1956 à 1958, dans cette école du quartier
arabe du village Boudia et je retrouve, grâce à la photo
publiée dans l'Echo de Saïda, dans le regard et sur le visage
de ces jeunes enseignants, l'enthousiasme, la foi et l'ardeur qui nous
animaient tous à 20 ans; le courage aussi, car il en fallait pour
enseigner à ces classes de 45 élèves, bruyants, remuants,
mais tellement attachants, tellement confiants, en leurs maîtres et maîtresses,
"tu es notre mère à tous", m'avait dit un jour l'un d'eux.
Je reconnais sur la photo les piliers de Jonnard, Henri Ferrando, Henri
Mora, ceux de ma génération: Henri Lang, Christian Ségura, Robert Martinez,plus
jeune. Les autres je ne les ai pas connus, ils ont remplacé les Garcia,
Melgares et Josette Jobert, Mazouni, Jeanine Benguigui-Layani, Elyette
Ségura- Albérola, Hermini Martinez-Decasas, qui enseignaient en
même temps que moi.
Ghazi, je ne l'ai pas connu non plus: fils ou parents de ce grand homme
tolérant et humaniste qu'était le Caïd Ghazi, dont je salue la mémoire
et qui était le grand ami de mon père Joseph Rivas. Sur la photo
il manque le directeur Pierre Armanet, "patos" de naissance,
mais tellement Saïdéen de coeur et qui allait devenir inspecteur.
Je me souviens avec beaucoup de nostalgie de ces classes de Jonnard, de
tous ces petits Ali, Ahmed ou Kader, si agités et si bruyants mais qui
savaient faire silence dès que la maîtresse le demandait et commençait
une leçon. Quel plaisir alors de voir combien ils étaient attentifs, réceptifs,
avides d'apprendre; plaisir que je n'ai jamais retrouvé plus tard, même
avec les élèves de collège.
Je me souviens notamment de l'un d'eux, un surdoué Meskar Miloud, qui
terminait tous les exercices le premier et en réclamait trois ou quatre
autres supplémentaires. lls étaient très fiers d'avoir une maîtresse
qui conduisait sa voiture, et faisaient la course avec moi à la
sortie de l'école, le long de la grande descente de Jonnard jusqu'au ravin
de la commune mixte. lls étaient si heureux de gagner cette course...
C'est vrai qu'ils couraient très vite et que je freinais pour les
laisser gagner. Mais j'avais dû très vite interrompre ce jeu; dans
leur fougue, ils seraient bien passés sous les roues. Que sont-ils devenus
aujourd'hui, tous mes petits élèves de Jonnard? J'espère
que cette terre qui nous a tous vu naître aura été généreuse et bienfaitrice
pour eux, plus que pour nous, c'est ce que je leur souhaite en tout cas.
Texte de
Paule Jacquet-Rivas
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