Les figues de Barbarie
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Figuier
Un des endroits de Saïda, où j'éprouvais le plus de plaisir, c'était la piscine Jean-Vidal construite derrière le cimetière européen. J'étais encore tout jeune quand elle fut construite, je revois les travaux, la terre jaune (la glaise), le chantier démesuré, mais je suis incapable de dire quand elle fut ouverte au public. Elle se trouvait à la sortie de Saïda, en direction de Tifrit et Aïn-Skhouna, bien cachée derrière un rideau épais de verdure. C'est là que pendant les vacances d'été, quelques copains, camarades de classe, musulmans et chrétiens, mais aussi israélites, avions coutume de nous retrouver pour profiter de la chaleur du soleil algérien. Nous nous y donnions rendez-vous très tôt le matin, vers neuf heures, pour n'en repartir qu'en fin d'après-midi, alors que le soleil déclinait pour s'en aller plonger derrière les monts de Saïda.

C'étaient de longues baignades, ponctuées de courses effrénées autour de la piscine, et de cabrioles dans le grand bassin. Nous suions tous à grosses gouttes et l'eau limpide nous accueillait après nos jeux. On y voyait arriver, vers dix huit heures, le plongeur-vedette de la ville, M. Tolinos, âgé d'environ quarante ans. ll portait invariablement un maillot de bain imitation léopard, se déplaçait en faisant habilement remarquer ses muscles réguliers sous sa peau bronzée et luisante passée à l'ambre solaire, le torse bombé, la nuque droite, souriant quelques fois exposant ainsi à nos regards béats ses quelques dents en or. ll ne tardait guère à accomplir ses prouesses. ll escaladait magistralement l'échelle du plongeoir, presque fier ou maniéré, avançait au bout de la planche qui devait servir son envol, et exécutait d'abord le saut de l'ange.

C'était sans doute pour s'habituer à l'eau. Puis revenant sur le plongeoir, il portait ses deux mains à son crâne pour refaçonner le reste de sa chevelure sur sa nuque et aussitôt s'élançant tel un voltigeur, réalisait un saut périlleux des plus époustouflant... Au début, nous attendions avec impatience son arrivée et tout le cérémonial, mais la répétition journalière de ce spectacle de fin d'après-midi finit bientôt par passer inaperçue pour enfin nous lasser. Nous quittions notre lieu de loisirs, serviette de bain autour du cou et slip de bain à la main. Sur le chemin du retour, au passage du pont sous lequel murmurait l'eau de la piscine, nous nous arrêtions pour graver nos initiales. J'avais dessiné dans la pierre tendre H.N qui se transformèrent en quelques jours en AN, puis en ANE, ce qui me guérit pour toujours de la manie de graver mes initiales quelque part.

La distance de la piscine au domicile de mes parents était courte et pour y parvenir, nous passions par le tournant dangereux, ainsi nommé à cause des remparts qui cachaient toute visibilité, ou devant le quartier de la Légion Etrangère, pour traverser la Redoute où de très vieilles constructions à un étage abritaient des communautés juive, musulmane et chrétienne vivant, ma foi, en assez bonne entente, et devant l'hôpital. Enfin la porte en arc de triomphe franchie, nous filions vers l'abreuvoir municipal, constamment rempli par l'écoulement d'une eau fraîche, où des indigènes s'arrêtaient pour faire tranquillement boire leurs bêtes. Un été, en plein mois d'août, on aurait dit que du ciel tombait du plomb, la route goudronnée avait des cloques foncées, le bitume ayant fondu sous l'effet de la chaleur.

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