Une Saint
Eloi à la Cie Algérienne de Tracteurs, rue Ste Claire Deville à Saint
Eugène à Oran.
Cet événement qui précédait les fêtes de Noël était un moment privilégié
de notre société et probablement unique à Oran, quant à son ampleur et
surtout les moyens mis en oeuvre. Jugez en plutôt; quelques jours
avant une grande fébrilité s'emparait du personnel mais plus particulièrement
des officiants, à savoir les mécaniciens, l'ensemble Atelier Magasin.
Tous nos mécanos en prise directe avec notre clientèle, les "colons",
comme on disait alors, avaient noués des liens très étroits et en retour
ces derniers se montraient prodigues sur leurs contributions en nature
à nos festivités et certains venaient de fort loin communier à la fête.
De Sidi-bel-Abbes, de Mascara évidemment, affluaient des fûts de ce qui
se faisait de mieux en matière de vins, de Perregaux, Rio-Salado et Relizane,
les cageots d'oranges, de belles Thomson évidemment. Le clou c'était,
en provenance de Nemours ou de Beni-Saf (je ne sais plus) et des frères
Macia (là encore pas très sur), mais pêchées dans la nuit, des cageots
de sardines, rougets, gambas, et petits supions (un régal ces bestiaux
à la "plancha", l'encre en prime pour les lèvres). Il y avait des porcelets
et poulets d'origines oubliées, je n'ai jamais vu de moutons, du moins
pendant que j'y étais de 1950 à 1956. L'anisette Gras ou Phenix, quelques
fois Cristal "of course", les olives cassées, petits oignons, mersa (rate
farcie), les traditionnels boccasillos, tout cela était payé par la caisse
noire de l'entreprise (pas celle qui alimente les divers partis politiques
de notre bonne France).
Cette caisse noire servait aussi pour les cadeaux "mariages, naissances,
décès etc..."; elle était alimentée par la vente de ferrailles de récupération,
mais surtout par la vente des énormes caisses d'emballage des moissonneuses
batteuses John Deere. Ces caisses étaient utilisées pour l'édification
de cabanons à la Cueva del Agua à la Tejera (il existe aujourd'hui une
amicale des anciens de la Tejera), aux Cagnarettes (à la verticale de
Canastel) et peut être ailleurs. Nos concurrents Massey Harris, Mac Cormick
International, etc.... en fournissaient également. Pour en revenir à notre
bon Saint Eloi, la fête débutait aux aurores et se finissait le lendemain
aux ... devinez... aurores. Autour de braseros où grillaient, sardines,
rougets, supions, il y avait pour Miss Flemming, éternelle migraineuse
et "british" sur le bout des ongles, un petit morceau de poulet, que lui
mitonnait Mr. Fichet, chef d'atelier; pour le reste chacun goûtait à son
propre plaisir.
Une Saint Eloi à la CAT n'aurait jamais été qu'une Saint Eloi parmi d'autres,
s'il n'y avait eu Jacques Vidal. J.V... hélas aujourd'hui disparu, n'était
autre que le réputé chef d'orchestre d'après guerre, probablement le no.1
du département; notre Jacques Hellian. Il était notre responsable outillage
à la CAT et son comparse Guillem, accordéoniste dans la même formation,
était lui chef magasinier. Comme deux individus même doués ne font jamais
qu'un duo et non un orchestre, ces deux braves incorporaient le restant
du groupe et nous avions, et pour nous tout seuls, le must musical du
moment, les meilleurs mets "bio" et une ambiance à nulle autre pareille,
le tout "gratos" comme on dit aujourd'hui. Tout le personnel, hiérarchie
confondue s'investissait dans cette fête. Combien d'amourettes plus ou
moins sérieuses se sont nouées, certaines finissant par une union en bonne
et due forme devant Mr. le Maire, n'est-ce pas Gisèle ? (Tu sais à qui
je pense aujourd'hui, je t'embrasse).
Vers le soir nos familles se mêlaient à la fiesta. Les "bolas", plaisanteries
si vous voulez, fusaient et les rires contagieux déridaient les plus coincés,
mais je ne me souviens plus d'eux. Je revois des figures typiques; en
voici quelques unes et pardon à ceux que j'oublie. Papa Schmidt, chef
comptable, homme débonnaire tirant infatigablement sur sa bouffarde, la
gentillesse même; Fichet, aux petits soins avec notre Miss Mary, le seul
peut être frangaoui de la société, chic type, oui très chic type; Canicio,
représentant doyen, je crois, familièrement appelé Grégoire et dont le
sonotone se mettait à vibrer dès qu'il était question de promos,
commissions, etc ... et muet le reste du temps; petit par la taille mais
gourou incontesté des réglages sur M.B. et autres matériels, le père Riquelme;
qui ne se souvient de Saez, l'homme à tout faire, chauffeur livreur, disponible
jour et nuit, souvent chahuté, ronchonnant tout le temps mais d'un
dévouement hors du commun.
Il y avait aussi mon bon ami et collègue Christian Durieux, véritable
feu follet, à l'affût de la moindre opportunité (il saura de quoi je veux
parler.... mais motus). Je n'ai pas oublié mon excellent ami Bonillo,
lui aussi n'est plus là; sa mère tenait le café de la rue Ste Claire Deville
et il a été mon magasinier à Sidi-bel-Abbes ( je salue au passage Georgette,
son épouse); Rodrigue, pour les amis, mais Rodriguez, ténébreux, brave
parmi les braves; je ne peux pas l'oublier, Amoros, transfuge des anciens
distributeurs des Tracteurs Société Française Vierzon, un véritable "as"
du monocylindre et bon vivant après mise en route. C'est fou ce que mes
souvenirs remontent au fur et à mesure que j'évoque ce passé, des noms,
des faits. Combien serez vous à me lire et à communiquer par la pensée
à ces moments à jamais perdus.
A vous tous, je dédie cette longue page de souvenirs, ainsi qu'à votre
descendance. Mes voeux les meilleurs pour 2001, un recueillement pour
ceux qui ne sont plus là. Que ceux qui n'ont pas eu la chance de
connaître ces moments sachent également que, si nous savions nous
amuser, nous n'en étions pas moins des bosseurs; nous ne connaissions
pas encore les 35 heures ni les 5 semaines de vacances, que nous travaillions
le samedi matin et qu'en fin d'année nous faisions des heures sup jusque
tard dans la nuit en participant à l'inventaire, tout cela pour, allez
devinez, "une fortune".... Je vous embrasse tous et toutes et si, par
chance, vous aviez des photos de ce que je viens d'évoquer, vous me combleriez.
Texte
de Roger Alfonsi
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