Digne d'être Pied-Noir

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans te retourner te mettre à rebâtir.
Te sentir étranger au sein de ta patrie
Et croire encore en l'avenir.

Si tu peux être pauvre en sachant rester digne,
Si tu peux être fort sans cesser d'être humain,
Vivre l'iniquité comme un affront insigne
En osant croire au lendemain.

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des ''beaux''.
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot.

Si tu peux endurer que l'oeuvre de tes pères
Soit bafouée au milieu des furieux.
Et toi, sachant combien elle fut salutaire,
Vouloir seul te battre pour eux.

Si tu sais mépriser le Mensonge qui passe,
Si tu peux ignorer ceux qui t'auront haï,
Si tu restes front haut parmi les têtes basses,
De ceux qui auront tout trahi.

Si tu sais partager le deuil et la souffrance,
De ces déracinés, de tous ces hommes qui,
D'un élan généreux avaient choisi la France
Et sont devenus les Harkis.

Si tu peux rester fier même dans les jours tristes,
Si tu peux pardonner en refusant l'oubli,
Et si, sans illusions, tu peux être optimiste,
Quand les coeurs auront faibli.

Alors tu reprendras ta place dans l'Histoire.
Et, te battant toujours pour réclamer justice,
Tu seras reconnu dans l'Honneur et la Gloire,
Digne d'être Pied-Noir, mon fils !…


Texte de Rudyard Kipling
''piednoirisé'' par Jean-Louis Morel,
du Théâtre Pied-noir de Narbonne