![]() Vous avez dit "Pieds-noirs" (4) |
Le soleil
méditerranéen en rajoute. Entrant dans la danse, les munitions stockées
dans les soutes explosent spontanément, la poussière de charbon n'est pas
étrangère à ces déflagrations. Plusieurs de ces navires, subissent des explosions
terribles, parmi lesquels le Iéna en mars 1907 et le Liberté à Toulon
en 1911, provoquant des centaines de blessés ainsi que plus de deux cents
décès. Ces dernières victimes sont enterrées, dans un émoi national, en
présence du Président de la République. Nos marins, Bretons et autres, sont
déstabilisés; ils ne supportent plus ces conditions de vie. Habitués à endurer
en mer l'humidité et le froid, "c'est l'enfer ici" déclarent-ils...
"s'il faut ajouter le risque d'une mort certaine, brûlés vifs dans un cercueil
d'acier, je préfère le gibet au mât de misaine" rouspètent les gueulards.
Le temps passe et la situation ne va qu'en empirant. Les marins désertent
à cause de la chaleur. Le problème est grave. La population française, désaxée
en ce début de siècle par un climat social désastreux, fortement émue par
ces catastrophes marines, est prête pour une guerre civile. En ce début de siècle la France est en ébullition, le climat est à la révolte. C'est l'effervescence politique et les affrontements sanglants; grève des mineurs à la suite des catastrophes de Courrières, grève des postiers, soulèvement du Languedoc viticole, grève des cheminots attisant une crise du syndicalisme. Clémenceau affronte Jaurès et Guesde, tandis que les révolutionnaires Griffuelhes et Pouget recréent la CGT. Puis c'est l'horrible guerre mondiale, volcan éjecteur de la surpression européenne. Les soldats réagissent; ils ne veulent plus mourir pour rien. L'embrasement de l'armée de terre échauffe aussi l'esprit des marins. Rien ne va plus en cette année 1917. La mutinerie générale dans la flotte méditerranéenne menace de plus en plus. Affolée, la hiérarchie marine doit réagir, en évitant l'affrontement avec la base. Pétain n'est pas marin, pour arranger les choses comme au Chemin des Dames, et calmer les révoltés, (dans la fange des tranchées, les Noirs aussi refusent de marcher parce qu'ils ont trop froid). Et tous, "unis comme au front" diront les anciens combattants, ils retournent au combat et nous donnent la victoire. Il n'empêche que 40.000 mutins seront fusillés, pour l'exemple, par d'autres Français pour avoir réclamé contre des traitements inacceptables, et jamais réhabilités. La Marine trouve donc une solution, à très bon compte; il y a dans les équipages de bateaux des hommes nés en Afrique du Nord, Européens ou Africains, tous Français pour la guerre, habitués aux températures excessives, qui voient là une occasion de gagner leur reconnaissance de Français, pas entièrement à part. Amalgame de tempéraments d'aventuriers, fondu au "melting pot" du creuset algérien, ils sont fiers de travailler dans les cales, sueurs de burnous mêlées du Chrétien, de l'Arabe et du Juif, papotant pataouète, pas encore atteint par les idées marxistes de ce temps tandis que les autres refusent ou tirent au flanc pour échapper à ce boulot de dingues. Briseurs de grève diraient certains? Non...trop heureux? Patriotes? même pas; en ce temps là, la Flotte Française doit être présente partout, de Tanger aux Dardanelles, de Tananarive à Saïgon. Par bravade, alors? Un peu...ou tout simplement parce que ces gens-là, habitués à la vie dure, font ce qu'il faut, quand il le faut sans état d'âme politico-philosophique. Marche ou Crève dit la Légion, reformée ici en 1831 à ce régime austère. Marchons, marchons, chante l'hymne national qu'on leur a appris; il faut se reporter à l'ambiance de l'époque. La réalité, aujourd'hui oubliée, c'est que ces hommes de chez nous ont tranché le noeud gordien, sans quoi la Flotte Française allait droit à son "Cuirassé Potemkine". Le pays embrasé, les explosions ne se produisent pas que sur les navires; le mouvement révolutionnaire enflamme toute l'Europe belligérante. Si la Marine lâche c'est la guerre civile, la révolution européenne et, dans un élan suprême, les soldats de tous les pays s'uniront avec les Bolcheviques. Ces quelques échantillons d'hommes, différents du lot, sont reconnus, comme une toute petite entité aux caractères très spécifiques, habitués au "marche ou crève". Il ne lui manque qu'un nom. Le charbon est entassé en vrac dans les soutes et chaleur aidant, il est plus commode d'y travailler pieds nus. Il peut bien aussi, en bon pulvérulent, faire ses coups d'éclat qu'on appelle le grisou, bien connu des "gueules noires". Ces marins du charbon, aux pieds nus toujours noirs, sont pour leurs officiers les "pieds-noirs". A l'extérieur, sur le pont, s'activent des "patosses" chargés de l'entretien des canons, avec un écouvillon graisseux. Ceux-là sont les "bouchons gras". |
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