![]() Vous avez dit "Pieds-noirs" (3) |
Le droit du
sol n'a pas été invoqué pour nous, le racisme à rebours existant déjà. A
la fin de la "guerre", pour laisser place nette aux nouveaux Algériens,
ces Européens d'Algérie sont expulsés, par l'alliance du pouvoir français
avec le FLN, dans une débâcle qui n'a rien à envier à celle de 1940 en France,
devant les Allemands. "Gardez moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge".
Rapatriés dans un pays jamais vu, où ils ne connaissent personne pour la
plupart, ils sont désorientés, abasourdis, sonnés, déchirés, aucun mot ne
suffirait pour expliquer leur désarroi. Toute attitude hostile, vexation
gratuite glisse sur leur sensibilité émoussée. Nous sommes retombés aux
besoins primaires de la survie; besoin de nourriture, besoin d'un abri,
besoin de sécurité, de regrouper ses parents, ses amis, de reconstituer
le cercle grégaire entre rescapés, échoués sur une terre inconnue. Nous
aurions aimé trouver aussi des comités de soutien, des élans humanitaires
en notre faveur, des défenseurs des droits de l'européen trahi. A part quelques exceptions de cercles reconnaissants, c'était le mur glacial, l'indifférence et même le mépris. Alors que nous l'avions pratiqué en 40, l'accueil chez l'habitant est resté lettre morte. D'autres Français d'Algérie handicapés par leur illettrisme et la méconnaissance de la langue, découvrant ici la ségrégation, vivent encore dans des camps au bout de trente années, coupés de leurs racines, des Français méprisés, parqués en territoires assignés comme le furent les Indiens. Le mot rapatriés fait ricaner; rats pas triés veut dire quelque chose, pour ces gens qui connaissaient bien ce petit mammifère, très prolifère au pays. Triés ou pas, quelle humiliation, pieds-noirs et rats? Le top... La tendance n'est pas à l'estime réciproque. Chacun reproche à l'autre d'avoir, durant sa guerre, fait payer l'eau à ses soldats. Confrontation de préjugés... Tacitement, le mot rapatrié devient caduc. Les médias récupèrent la boutade que leur confrère, prédisposé déjà par les "pieds-bleus", a piquée dans le jargon privé de la marine. Le sobriquet "pieds-noirs" est lancé, pour moquer plutôt que flatter. Il ira loin... Son découvreur aurait du demander des droits d'auteur. Il faut de l'insidieux dans la vague gaullienne, noircir les gens pour mieux les démolir, apaiser ses rancunes et régler ses comptes personnels au nom de l'intérêt national. La sape est l'outil le plus approprié; "pieds-noirs", tombait très bien: vacherie gratuite, vide de sens, comme une insulte, sauf, s'il en restait, pour certains marins français du début du siècle. Calembour à visée dégradante décerné en nom de baptême à une communauté, anonyme depuis 130 années, rendue suspecte par le régime qu'elle a favorisé; Regard soupçonneux sur ces loques humaines qui détalaient dare-dare, la mort aux trousses; ils ne sont pas comme nous ces gens-là. Ce ne sont pas des Français, ils sont bizarres, ils parlent pas comme nous... Ils ont pris nos petits pour leur guerre... Ils voulaient débarquer à Paris avec les paras... Ils ont massacré les pauvres arabes ...On dit qu'ils ont les pieds noirs... Ces litanies puériles, dans un climat propice deviennent rumeur qui durera plus que nous. Revenons à nos pieds; les relations avec l'Afrique du Nord s'effectuaient, depuis la conquête, à l'aide de voiliers jusqu'à la fin du siècle. A l'avènement des machines à vapeur, la navigation se mit au goût du jour. A l'époque les Bretons, de vrais gens de mer dans un pays de terriens, forment encore la majorité des marins. La Méditerranée à la voile, quelle sinécure; surtout lorsqu'on a connu les frimas de l'Atlantique nord. Ici, le climat magnifique remet du baume au coeur à ces matafs du grand large. Les manoeuvres se font au grand air, les gabiers ahanent leurs chants marins "Hardi les gars, vire au guindeau" accompagnant gaiement le fasseyage des voiles, sur les eaux turquoises de la belle-bleue, débarrassées des Turco-Barbaresques. Dès la fin du siècle, vers 1896, les puissants cuirassés Charlemagne, Bouvet et Gaulois, sont propulsés à la vapeur, bien qu'en 1907 certains navires ont encore la possibilité de hisser des voiles en soutien de leurs 18000 chevaux (vapeur). Dans ces bâtiments de construction métallique, les chaudières transforment les fonds en fournaise. |
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