Devoir de Mémoire

Mon Algérie... (2)

Un seul remède, nous nier, nous engloutir sous l’opprobre. Et pour nous, une seule réponse: Nous sommes là, nous sommes vivants et fiers, nous sommes l’Histoire. Nous écrirons, et nous crierons, sans relâche, et nos enfants après nous. Et, comme s’éveillent vos enfants au silence assourdissant des enfants de Vendée, ils s’éveilleront un jour, vos enfants, au silence assourdissant des enfants d’Algérie, de tous les enfants d’Algérie, pour demander au nom de quelle folie nous avez-vous laissé assassiner? Nous entendons dire bien des choses sur l’Algérie, et surtout par des gens qui l’ont peu ou pas connue. Je ne me reconnais pas dans ces constructions politico-droits de l’homme et autres balivernes, prétextes à toutes les turpitudes. Mon Algérie, je n’ai pas besoin de la reconnaître. Elle est en moi. Je peux dire "mon Algérie" comme je dis mon oeil, ma main. Elle est mes tripes, mes muscles, elle est mon regard, et ce sera comme cela jusqu’à ce que mes yeux se ferment pour toujours, que mon souffle s’arrête dans un soupir qui sera encore mon Algérie.

ll ne s’agit ni de justifier, ni d’expliquer, ni même de comprendre. ll s’agit de vivre. Mon Algérie, c’était celle de tous mes copains, pieds-noirs, arabes, juifs, celle qu’on respectait, qu’on riait, qu’on pleurait ensemble. C’était celle de Mario Franceschi, le pied-noir catholique qui a chanté le petit peuple de la Rue des Juifs d’Oran, et Norbert Régina, le juif pied-noir qui disait la vie des "beaux quartiers" où sa famille vivait et dont le livre, le dernier de la saga, "La Femme immobile" reste comme une pierre sur le coeur. Mario Franceschi vient de nous quitter. Norbert Régina vient de nous quitter. Après tant de pieds-noirs partis depuis trente huit ans, avec un morceau de notre pays perdu réduit en cendres, c'est encore ces deux voix si peu importantes dans le concert assourdissant des guerres de cet hiver dément, qui demeurent essentielles.

Je le dis étymologiquement, pleines de l'essence même de notre terre aimée charnellement, plus vraie dans sa complexité, ses contradictions, ses injustices et la terrible justice de son soleil pour tous et sa beauté, son rire, son insouciance que Camus a cru païenne, mais qui vivait au delà des théories, des constructions, des démolitions, qui vivait et qui palpitait parce qu'elle était comme l'amour d'une mère, imparfait et complet et éclaté entre la multitude et tout entier à chacun; et à cause de cet amour, notre terre meurtrie, par delà les disputes, les incompréhensions, les caricatures, notre terre qui est notre histoire peut comprendre et aimer comme une mère comprend et aime, même l'enfant capricieux, même le mal fichu, même le dévoyé. L'amour ne choisit pas; il ne dépend ni des qualités ni des modes. Il est ... et quelquefois, après, il s'explique ou tente de se justifier. Doit-on demander pardon d'aimer? Alors, oui, pardon l'Algérie, on t'aime...


Geneviève de TERNANT
Editorial de L’Echo de l’Oranie Mars-Avril 2000


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