Devoir de Mémoire

Hommage au général Jouhaud

Le général Jouhaud est mort le lundi 4 septembre 1995, à son domicile de Royan. Il avait 90 ans. Edmond Jouhaud était fils d'instituteur. Sa soeur aînée naquit d'ailleurs à Saïda, où son père eut son premier poste. Lui c'est à Bou-Sfer qu'il vit le jour, près d'Oran, en 1905. Il restera toute sa vie un méditerranéen, passionnément amoureux de sa terre natale, de la mer. La baignade, jusqu'à ces tout derniers mois, fut un de ses plaisirs favoris, source pour lui d'équilibre et de vie. Mais c'est l'aviation qu'il choisit, servir la France devint son métier. Il sort de Saint-Cyr en 1926, commande un groupe aérien en Lorraine en juin 40. Au moment de la débâcle, il réussit à replier son unité en Algérie. Affecté en métropole en 1942, il rejoint la Résistance dès l'occupation de la zone libre, et devient un des responsables de la région bordelaise. Commandant de la région aérienne d'Alger le 13 mai 1958, il devient en décembre chef d'Etat-major de l'Armée de l'Air, puis, le poste suprême dans son arme, inspecteur général de l'Armée de l'Air.

L'Algérie est en train d'être bradée, abandonnée, il ne peut laisser faire sans agir. Les choses vont très vite. Il demande à être mis en disponibilité quelques mois plus tard, et, en avril 1961, c'est le putsch, pour amener la France à conserver l'Algérie, un putsch sans Ia moindre effusion de sang. Où est la puissance du FLN? Tandis que Salan prend la tête de I'OAS, Jouhaud se voit confier Ie commandement de I'organisation en Oranie. Arrêté en mars 1962, amené à Ia Santé, jugé, iI sera Ie seul des généraux à être condamné à mort. II a commis, en plus des autres, un péché qu'on ne Iui pardonne pas, iI est pied-noir et a voulu rester fidèle à sa terre natale. Georges Pompidou alors premier ministre met tout son poids dans Ia balance pour sauver Ia tête du général Jouhaud qui voit enfin sa peine commuée en détention criminelle à perpétuité. II reste emprisonné à TuIIe avec nombre de ses camarades héros de notre Résistance, jusqu'en décembre 1967.

Durant de Iongs mois, chaque petit matin, à I'heure où I'on exécute Ies criminels, iI attendait, éveillé, sur son Iit, écoutait Ie bruit des pas de ceux qui viendraient Ie chercher dans Ie silence de Ia nuit. L'heure passait, iI pouvait se rendormir. Dieu dans ces moments-Ià pour celui qui a Ia foi, c'était Ie cas du Général Jouhaud, est un précieux secours. Amnistié en 1968, iI sera réintégré dans Ie cadre de réserve de I'armée en 1982 par Mitterrand, en même temps que Ies autres officiers généraux condamnés pour Ieur action pour I'Algérie Française. Dès sa sortie de prison, à Toulouse où nous avons Ie bonheur de Ie recevoir, iI sait -et nous I'appelons une nouvelle fois à notre secours- que sa mission n'est pas terminée. II s'en donne deux: réaliser I'unité des pieds-noirs et de Ieurs associations, pour plus de dignité, et plus d'efficacité dans notre combat à faire reconnaître nos droits.

Deuxième mission, informer Ies Français, qu'on a trompés et qu'on continue de tromper en tronquant I'Histoire de I'Algérie Française. Excellente plume, travailleur acharné, iI publiera de nombreux ouvrages, "O mon pays perdu", "Ce que je n'ai pas dit", "Serions-nous enfin compris?" "Yousouf" et une superbe Histoire de I'Afrique du Nord pour nos enfants. J'ai eu Ie privilège de bien connaître Ie général Jouhaud, et sa femme Odette qui partagea tous ses combats, compagne chérie de I'ombre sur qui, toujours, iI put compter. Avec affection et tristesse - tristesse des temps perdus qui ne reviennent jamais - je revois sa superbe silhouette d'officier de I'Air, son regard et son sourire si bons, son humour, ses impatiences, sa simplicité et en même temps son autorité, I'acuité de son intelligence, Ie recul qu'il savait avoir par rapport aux événements et aux hommes. Nous pouvons être fiers de notre Général.


Jacqueline Baylé - L'Echo de Saïda - Janvier 1996

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