Le 13 mai 1958
présenté par Marc Ferro
La Documentation Française


Ainsi se terminait l'incohérente série d'incidents, d'accidents et de coïncidences qui constituèrent la "révolution" de mai 1958. De Gaulle avait laissé le pays jusqu'au seuil de l'abîme et lui avait laissé voir dans ses profondeurs le spectre de la catastrophe de la guerre civile, avant de lever la main et de l'entraîner en arrière. Cependant, ce qui, à l'époque pouvait être mis au compte de l'hésitation et de la temporisation poussées à leurs plus dangereux paroxysmes doit être considéré aujourd'hui comme un jeu mené avec une habileté consommée. Pour avoir su attendre, De Gaulle revenait au pouvoir investi d'une légitimité acceptable. En second lieu, il ne revenait pas comme l'homme de l'armée. Sans ces deux facteurs, on peut se demander si la guerre d'Algérie ne se serait pas terminée par une guerre civile en France. Les événements de mai en Algérie, qui avaient amené son retour, avaient créé suffisamment d'illusions pour placer de graves obstacles sur le chemin de De Gaulle.

Lagaillarde et les dirigeants les plus excités des pieds-noirs avaient acquis la conviction qu'ils avaient provoqué l'effondrement de la Quatrième République (..." Nous avons été, disaient-ils, le tremplin dont De Gaulle s'est servi pour sauver la France. Alors, désormais, il devra danser avec notre musique." (...). Le bal terminé, il serait difficile pour les pieds-noirs et pour l'armée de revenir à la réalité. L'ennui était que chaque faction se berçait de l'espoir que De Gaulle serait tout pour tous. Pour reprendre le mot cynique de Georges Bidault, tout le monde, de la gauche à la droite, de Bourguiba jusqu'au FLN, pensait, au cours de ces enivrantes journées de juin, posséder "un morceau de la vraie croix de Lorraine". Dans ses déclarations énigmatiques, le sauveur ne faisait pas grand-chose pour dissiper de telles illusions.

La désillusion n'en serait que plus forte. Les critiques et les adversaires de De Gaulle auraient pu, avec raison, l'accuser de toutes sortes de volte-face dans la manière dont il traitait la question algérienne, mais aveuglés par la proximité immédiate de la guerre elle-même, ils étaient incapables de voir sur quoi se fixait le regard du Général. Du haut de sa grande taille, ses yeux fixaient le dessus des têtes des pauvres humains, les sommets d'une lointaine terre promise. S'il y a un but qu'il poursuivit sans défaillance toute sa vie, ce fut bien la grandeur de la France, à laquelle il avait rêvé pendant ses années de solitude dans le désert. A long terme, rien d'autre ne comptait ou ne pourrait lui barrer le chemin. Telle est la clef de toutes les énigmes de ses actes futurs. ll réaliserait son rêve, même au prix de la perte de l'Algérie.

Alistair Horne, Histoire de la guerre d'Algérie, Editions Albin Michel


Il s'agit là, d'un des nombreux documents réunis par la Documentation Française en 1985 qui donnent un éclairage nouveau et différent sur les événements de mai et juin 1958. Les masques tombent...


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