Où
sont les roses de Fouka ?
par Camille Gilles Editions Julliard |
En montant
l'avenue de la Bouzareah, on entre dans l'Alger de Camille Gilles. La seule
odeur qu'on ne perçoive pas est celle de l'anisette qui, noyée d'eau, blanchit
les verres sur les comptoirs. Dans des trous d'ombre, l'air sent l'huile
rance, la brochette, la caroube et le crésyl. C'est ce cocktail de parfums
qu'on retrouve d'emblée, dans l'ouvrage de Camille Gilles, avec, en plus,
le cri des oiseaux captifs dans les cages de balcon et le bruissement de
perles des rideaux d'épicerie. Sur les trottoirs, de l'écarlate. La ville
rend son sang comme on pleure. Sang d'Europe qui a giclé sous la bombe de
l'Otomatic. Sang arabe ou berbère des ratonnades. Sang des exactions
et des tortures. Sang absurde. Camille Gilles se promène dans sa ville. Les haines sont tapies, vivaces, inexpiables. Les souvenirs aussi. Récit parfois maladroit, souvent ambitieux, toujours désemparé. Hanté par le fantôme de sa mère assassinée, le coeur encore glacé par les meurtres commis, le héros du livre, en débarquant en Algérie indépendante, se retrouve comme en famille, à la fois oppressé, ému et agressé. A Fouka, la mosquée a remplacé l'église; l'étendard vert du FLN flotte sur la hampe rouillée où autrefois claquait le drapeau tricolore. Au bout des trottoirs, à l'autre extrémité du village, au-delà des flaques de sang séchées, la campagne commence. Nue, chaude. Pourquoi est-elle si vide ? Si différente ? Si hostile ? Le ciel si blanc de soleil ? Où sont les roses de Fouka ? Préface de Marcel Jullian |