Français
sans patrie
La reconnaissance par Brahim Sadouni Edition privée |
Ahmed sortit
de sa poche, le seul et unique billet de dix mille centimes qu'il n'avait
jamais eu en possession durant sa misérable vie. "Prends-le,
Brahim, et sauve-toi, que l'un de nous au moins échappe à
cette drôle de vie.. Je ne te demande qu'une chose; écris
un livre sur nous, les harkis, dénonce notre misère, c'est
ton devoir. Poursuis tes études en France, pour toi et pour moi.
Si ce livre parait un jour, j'aurai gagné même si je dois
rester en Algérie. Ne t'occupe pas de moi; de toute façon,
je ne suis qu'une moitié d'homme". Une boule serra ma gorge.
Mon devoir m'imposait-il de dépouiller mon frère et de l'abandonner,
sans défense, au milieu d'un monde d'agression. A l'arrivée
du camion, Ahmed me prit dans ses bras et me serra très fort, si
fort que j'eus la sensation que personne ne m'avait étreint d'une
telle manière. Ses yeux étaient noyés de larmes quand
le camion démarra. Caché sous une bâche, je répondais
comme je pouvais à ses signes d'adieu, et je sentis mes yeux laisser
échapper de grosses larmes qui venaient du fond de mon coeur. A
mon tour, je venais d'abandonner cet homme. |