L'arrivée des Pieds-Noirs en 1962
par Jean-Jacques Jordi
Editions Autrement
Collection Français d'ailleurs, peuple d'ici



Au début de l'année 1962, Marseille se voit confier par le gouvernement la tâche d'accueillir au mieux et de disséminer sur le territoire métropolitain tous ceux qu'on appelle désormais les "rapatriés d'Algérie". Clé du transit, la ville phocéenne ne pourra assumer qu'une partie de son rôle à cause d'une politique défaillante. Chaque jour qui passe, dès la mi-mai, voit le port s'animer d'un ballet régulier de bateaux qui débarquent plus de passagers que d'ordinaire. L'aéroport de Marseille-Marignane est de la même façon agité par une noria migratoire déjà connue par le passé; mais il ne s'agit plus ici de quelques centaines, voire de quelques milliers de réfugiés qui arrivent. Désormais, c'est par dizaines de milliers que l'on compte les rapatriés fuyant une situation devenue intenable. Rien ne se déroule comme prévu ! Dans cette situation, les difficultés et les traumatismes des traversées sans retour de juin et de l'été 1962, les incompréhensions et les tensions d'un accueil déficient, le rejet, voire l'animosité que l'on a pu rencontrer chez "ceux qui reçoivent" marquent les esprits et figent les mémoires sur un lieu investi de honte et lourd de drames.

"On ne voulait pas de nous. Il y en a même qui voulaient nous jeter à la mer." Cela semble être le véritable leitmotiv de ces migrations originales, et c'est à Marseille qu'il se cristallise. Si, avec le temps, les esprits refaçonnent les mémoires, il n'en reste pas moins que la ville phocéenne apparaît encore comme un espace de rejet, un lieu de purgatoire faisant suite à un "exode honteux qui ne pourra être pardonné". Ceux qui font le grand départ ont le sentiment d'être abandonnés par la France, cette France vers laquelle ils se dirigent, cette France vers laquelle les regards sont tournés depuis la fin du XIXème siècle. Et le premier point qu'ils voient, le premier sol foulé pour les trois quarts d'entre eux est Marseille, lieu de détresse et d'angoisse dans un avenir incertain. Une mémoire traumatisme se forme dans la ville phocéenne et gagne la quasi-totalité de la communauté pied-noir. Mieux, elle imprègne même ceux qui ne sont pas passés par Marseille. Mémoires d'un espace qui éclate les familles au lieu de les réunir, mémoires écorchées qui se traduisent souvent par une violence des mots qui ont aussi l'accent de l'amour déçu dans ce lieu d'exil, désormais, plus que patrie retrouvée.


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